Connaissez-vous l’immunité au changement?
Quelle expression révélatrice de notre résistance quasi physiologique à accepter le changement ! En cherchant des éléments sur ce thème, j’ai visionné une conférence qui m’a passionnée. Elle traitait de cette immunité, que Robert Kegan et Lisa Lahey, tous deux chercheurs en Sciences de l’Education à la Harvard Graduate School of Education, ont détaillée dans le livre du même nom, en anglais « Immunity to change.
Échouer encore et encore
Avez-vous déjà fermement décidé que quelque chose dans votre vie doive cesser, le désirer ardemment et être sûr que c’était la meilleure chose pour vous? Cela aurait pu être d’arrêter de fumer ou encore de cesser une relation toxique? Vous saviez qu’atteindre cet objectif vous serait infiniment bénéfique. Pourtant, jusqu’ici, vous n’avez jamais réussi.
Nous rencontrons tous ce type de situation. Nous nous fixons des objectifs, souhaitons les atteindre plus que tout et savons que des comportements nous faisant dévier de notre trajectoire viennent invariablement s’interposer. Votre belle-mère dira que vous manquez de volonté. Votre épouse pensera que vous manquez d’ambition. Votre frère que « déjà, petit, vous n’aviez aucune résistance à l’effort ».
L’obstacle est en vous
Pourtant, la raison expliquant que vous n’ayez jamais réussi est plus vraisemblablement à chercher du côté d’un mécanisme de protection qui s’active instantanément lorsque vous commencez à engager le changement. Irrémédiablement, aux premiers pas, tous les feux passent au rouge et les signaux s’allument sans que vous puissiez identifier pourquoi. Votre cerveau s’emballe, vos mécanismes de protection se réveillent: « si je n’y arrive pas, c’est donc bien que ce n’est pas bon pour moi ».
Et si le bénéfice à échouer était plus grand que celui que vous obtiendriez en réussissant?
Fermez les yeux et pensez à cette chose que vous rêvez d’atteindre depuis longtemps.
Maintenant demandez-vous : quel serait le sentiment le plus désagréable que je pourrais ressentir une fois que j’obtiendrais cette chose ?
Certes, la question est bizarre. Dérangeante même. Car imaginez un instant que vous découvriez que fumer cette cigarette en cachette vous procure un sentiment incomparable de liberté et de désobéissance, vous permettant de vous affirmer comme une personne qui « s’affranchit de toutes les règles établies »… Qu’en penseriez-vous? Ou que vous restez avec cet homme qui vous ne vous apporte rien pour ne pas être seule ?
Attention concentrez-vous …
Votre cerveau pense que le bénéfice que vous tirez en n’atteignant pas votre objectif est supérieur à celui que vous obtiendriez en y arrivant.
En clair, lorsque vous continuez de fumer, même si vous savez bien que vous auriez des bénéfices énormes à arrêter, le plaisir que cela vous procure et les sentiments et valeurs que ce plaisir vient nourrir sont supérieurs. Dans leur livre Immunity to Change: How to Overcome It and Unlock the Potential in Yourself and Your Organization, Kegan et Lahey décrivent quatre étapes essentielles pour surmonter les pièges émotionnels et parvenir à une véritable transformation.
Voici un cas concret pour illustrer !
Jérôme, 43 ans, souhaite trouver un poste à temps plein dans une multinationale. Jérôme est au chômage depuis 1 an. Il ne comprend pas pourquoi il ne décroche pas depuis 9 mois, un emploi taillé à son image: exigeant, ambitieux. Il a pourtant établi un plan et des indicateurs précis et a objectivement tous les atouts en main pour y arriver. Ce que Jérôme pense, c’est qu’il est prêt.
Or, il a vécu il y a 18 mois un très gros blackout au travail qui a mené à la rupture de son contrat. Jérôme était ce qu’on appelle un acharné du travail, ultra investi et perfectionniste. Jusqu’à ce que tout lâche et le fasse dégringoler. Après quelques mois de dépression puis de remise en forme, le voilà sur pieds, pense-t-il.
Identifiez les comportements saboteurs
La première étape du processus décrit par les chercheurs consiste à établir les comportements qui nous éloignent de l’atteinte de notre objectif.
En entretien, Jérôme est toujours percutant, affuté, a toujours le « meilleur profil ». Et il n’obtient pourtant jamais le poste
La vérité, c’est que Jérôme met en place toute une série de micro-comportements saboteurs inconscients ayant pour objectif de ne pas se faire embaucher (même si l’on a vu que c’est ce qu’il pense souhaiter). Il a par exemple des attitudes non verbales très négatives lorsque le recruteur commence à évoquer la charge de travail ou encore les horaires. Et il devient carrément cynique quand on parle des « valeurs humaines de l’entreprise ».
Un pied sur l’accélérateur, l’autre sur le frein
Il y a donc toujours de la méfiance dans son comportement, donnant au recruteur un arrière-goût étrange après les entretiens, laissant planer un doute indélébile sur sa réelle motivation, malgré son excellent profil.
Soulever les motivations concurrentes cachées
Jérôme a en effet ce que les auteurs appellent des motivations concurrentes cachées à l’atteinte de son objectif : il a par exemple peur qu’en obtenant ce poste, il perde la santé qu’il a mis tant de temps à recouvrer et se remette à travailler beaucoup plus que de raison. Que cela génère des tensions familiales et que le même schéma se reproduise.
Creuser les grandes suppositions
Kegan et Lahey estiment que derrière les motivation concurrentes cachées se cachent des grandes suppositions, sortes de croyances et valeurs forgées depuis l’enfance ou au fil de la vie et des expériences.
En réalité, Jérôme est terrifié. Il met donc en place tous ces comportements pour être sûr (inconsciemment) de ne pas obtenir le poste qui pourrait le faire retomber dans la spirale qu’il a connue. Il a peur de devenir « esclave » d’un employeur ou de tomber dans une « cage dorée » qui le retiendra prisonnier. Cela rejoint aussi les valeurs d’indépendance et d’autonomie que ses parents lui ont inculquées: ne jamais être dépendant, ne jamais se rabaisser en face de quiconque.
Au fond, l’accumulation de micro et grands événements, ajoutés à son éducation l’ont amené à ce stade de sa vie à penser qu’un job l’enchaînerait. Mais il n’en a pas conscience. S’il identifiait le problème avec lucidité, il pourrait comprendre comment gérer cette peur et mettre en place des stratégies pour trouver le travail qu’il souhaite tout en maintenant des mesures d’hygiène de santé au travail et des moyens de maintenir son indépendance.
Travailler les angles morts
Dans la dernière étape, il s’agit d’identifier les obstacles à surmonter pour parvenir à un changement durable.
On l’a vu, notre protagoniste a aujourd’hui un angle mort.
Ne pas avoir conscience du bénéfice existant dans le fait d’échouer
S’il rencontrait un bon coach, il pourrait lui poser cette question : « Est-ce qu’il pourrait y avoir un inconvénient pour vous ou pour les autres à obtenir un job de cette envergure? » Et Jérôme, en réfléchissant bien, pourrait répondre: « J’aurais peur de me sentir esclave; on perd sa santé quand on travaille pour ce genre de poste ». Et comme ce n’est pas le changement qui cause l’anxiété mais le sentiment d’être sans défense devant un danger présumé, travailler à trouver une stratégie de réponse au danger réel ou fantasmé pourra être une des clés.
Il faudra donc mettre en balance les avantages et inconvénients apportés par la réflexion pour réajuster ou non l’objectif.
Pour Jérôme, cela pourrait être de :
- Définir une procédure claire de prévention relative à son bien-être et sa santé
- Trouver des exemples de personnes qui ont un travail exigeant sans en être « esclaves » et s’en inspirer
- Construire des stratégies visant à conserver une part importante d’indépendance.
L’objectif pourrait se transformer en: « Trouver un emploi de cadre dans une multinationale tout en préservant ma santé et mon indépendance ». Il faudrait ensuite déployer le « comment ».
Dans tout échec ou tentative vaine, il y a quelque chose qui crie sous la surface et que nous n’entendons pas. Car parfois nous avons tout à gagner à échouer.
Tout au fond nous savons bien pourquoi nous n’y arrivons pas. Mais nous n’avons surtout pas envie d’aller régler ça.
Pour aborder cette problématique sous un angle plus trivial mais rigoureusement documentée !